Je sais que, pour certains ayatollahs de la culture DJ et clubbing, Corti n’est pas intéressant ou respectable. Mais il faudrait un peu remettre les choses en perspective. Ce type a écumé tous les coins de France (comme Johnny) pour faire danser les gens et leur apporter du bonheur depuis la fin des années 70. De la Corse aux Ch’tis, du Pays Basque à l’Alsace, de la Côte d’Azur aux côtes d’Armor. Il est la première incarnation du DJ que l’on a eu dans les grands médias en France via les premières émissions de Thierry Ardisson pour expliquer à mamie ce qu’était un Disc-Jockey.
Au-delà du funk, du disco et de la musique latine, il avait un côté très rock et très techno pour ceux qui ont eu la chance de le voir mixer en pleine forme dans les années 80 ou 90, no limit, aucune barrière musicale tant que le dancefloor bascule dans un lâcher-prise total. Le grand mix avant le grand mix, l’aléatoire avant l’iPod. Et bien sûr aussi de la chanson française, au début pour le côté rigolade et décalé, de France Gall à Patrick Juvet, de Claude François à Alain Chamfort, bien avant que les « pointus » ne les remixent des années plus tard.
De ses années movida (Gypsy Kings, Paco de Lucia, avant Rosalia) aux clubs branchés de la capitale comme les Bains Douches, le Queen ou le Palace, Corti n’avait pas d’autres plans de carrière que de vous retourner la tête et les jambes. Pas de communauté sur les réseaux sociaux, de followers digitaux, d’expert en communication, en bon ou mauvais goût. Juste sa réputation, son expérience et son talent à vous faire oublier le quotidien, à vous retourner la tête comme un set furieux des 2Manydj’s et à être habité comme un Joe Claussell avec en plus un sens du micro indéniable. Avec lui on ne sait pas ce qu’il peut se passer, il va partir en plein set s’accrocher aux lustres, se travestir ou sauter au milieu du dancefloor. Bref, ce qu’aucune intelligence artificielle ne pourra faire demain dans un club.
De ses trois mois rock’n’roll de directeur artistique au Palace, au début des années 90, en prenant comme résidents un certain Laurent Garnier et un certain David Guetta, à ses années de DJ pour Intervilles pour amuser les gamins. Corti se fout de son image, de la technique parfaite, du mix linéaire, human after all. Il peut aussi bien mixer pour la foire aux vins de Colmar que pour le mariage de Zidane ou celui d’Yves Mourousi au milieu des arènes de Nîmes. Un DJ, ça s’adapte et ça regarde sa piste.
Alors oui (face A), au fil des années 90, on s’est tous construits en opposition à tout ce que représentait le DJ « à la Corti » et on a plongé corps et âmes dans la culture Techno ou Hip Hop. Pour autant, maintenant, il faudrait quand même un peu mûrir et reconnaître son sens du dancefloor et de la fête. Et puis arrêtez de faire les faux-culs, vous avez tous fait au moins une fois dans votre vie un blind-test, chez vous ou des amis, en vous prenant pour Corti !
Alors oui (face B), je vous vois venir, il y’a aussi un côté sulfureux avec une histoire pas très nette avec un cocktail douteux de drogue et de prison. Mais bon vous voulez qu’on dresse la liste des bonnes vertus dans le milieu artistique, de Derrick May à Johnny ?
Pour ceux qui savent qu’écouter un DJ ou un track particulier ce n’était pas attendre que ça tombe dans Spotify ou regarder une Boiler Room sur YouTube, mais prendre sa voiture en pleine nuit pendant une heure, être dans les bouchons au fin fond de la Camargue, sans téléphone, au milieu des marais pour espérer, dans le gros Sound system du club la Churascaïa, que Corti envoie le titre « Plastic Dreams » de Jaydee ! Culture disco, électronique, mélange des genres, des sexualités.
À mettre en avant en soirées, à leurs débuts, des Garnier, Guetta ou Cut Killer. À passer « Never Be Alone » de Justice en club de province quand ça ne passait qu’au Pulp à Paris. Si aujourd’hui DJ Snake remplit le Stade de France en 3 minutes c’est super, génial, extraordinaire mais Philippe Corti fait aussi partie de cette longue histoire française du DJ qui « fait danser les filles et les foules » sans avoir produit un tube (comme Johnny qui n’a jamais produit ou écrit un tube de sa vie, il les a juste interprétés). Corti ne s’est jamais pris pour ce qu’il n’était pas. Il a le sens de l’abnégation pour mettre en avant la musique des autres. Sans parler de sa touche française qu’il a exportée en soirées de New York à Marrakech ou de Londres à Singapour (comme Johnny, Corti n’a pas exporté un son mais une interprétation, un personnage). Donc pour toutes les générations que tu as fait danser au milieu (mais surtout au-delà) du périphérique parisien, on te dit : « Merci ! »
Corti fait aujourd’hui de temps en temps du théâtre, du cinéma (comme Johnny) ou une fiction télé à Saint Barth (comme Johnny) et il a toujours l’œil qui brille et l’amour du public dès qu’il faut passer des disques ici ou là. Respect. Bref, mêmes qualités, mêmes défauts, Corti c’est Johnny !
Numa Grenan
Note du blog : DJ résident emblématique des guinguettes Rosa Bonheur, Numa à inventer le son typique des guinguettes, un mélange divinatoire et jouissif de classiques du dancefloor, du Rock, de chanson française, espagnole, italienne y tutti quanti.