Histo Tekno est une tentative d’histoire de l’utopie de la scène issue des musiques techno et house en France.
L’incompréhension, 1989-1993
Quelques fêtes ont suffi dans l’hiver 1989/90 pour faire de la House, mère des musiques électroniques, un mouvement de mode dans le Paris branché grâce à quelques pionniers, Sal Russo, Didier Lestrade et Manu Casana. En mai 1988, le Rex accueillait déjà Jungle de Pure Organisation, qui fit les Pyramid au Palace quelques années ensuite (lire Trax). Les pionniers avaient des profils différents : Sal Russo, disquaire avec BPM Records rue Keller (Paris 11), Didier Lestrade, journaliste à Libération et co fondateur d’Act Up – Paris, et Manu Casana, un ancien punk qui a vécu le mythe fondateur du Summer of Love de 1988 à Ibiza, fondateur du premier label techno indépendant en France, Rave Age Records, en 1990. Laurent Garnier revient alors de l’ambassade de France à Londres et devient le DJ résident des premières soirées house en club, les Jungle au Rex et les Pyramid au Palace. Au même moment, le Sud de la France voit éclore des fêtes techno décadentes — les Pyramid au club Circus entre autres —, et le nord court dans les clubs belges — Skyline et autres 55. Ces événements marginaux ont marqué l’imaginaire des premiers passionnées.és, qui ont par la suite reproduit ces fêtes et leurs valeurs fondamentales : hédonisme, fraternité, cosmopolitisme. Mais la rave fondatrice reste le Fort de Champigny du 28 septembre 1990, célébrée de nouveau en 2021 (articles 1 ou 2), de Rave Age Records. Ici le flyer de la seconde édition de 1991.
Un aperçu des premières raves en France : Galactica à l’Aquaboulevard, juin 1992, Paris. Extrait de l’émission de MCM 120 BPM réalisée par Pierre Hermann & Olivier Abitbol.
Et aussi un reportage amateur sur un amateur de techno en 1994
L’arrivée de la house et de la techno n’a pas suscité que des sympathies dans le paysage musical hexagonal. « La house ne peut pas être de la musique » est l’une des premières réactions des professionnels. Elle est en tout cas souvent mal comprise et assimilée à une musique « blanche ». C’est pourtant le Warehouse, club gay black de Chicago, avec des DJs comme Frankie Knuckles (RIP), qui ont donné son nom à cette musique.
De fait, au début des années 1990, la techno et la house intéressent peu les magazines et radios, à l’exception de Didier Lestrade avec sa chronique « Disco » dans Libération et des équipes de Radio FG et Radio Nova, qui font un gros travail de vulgarisation, ainsi que d’un premier média original, le fanzine eDEN, qui paraît de mai 1992 à fin 1994. Le rejet de ces genres par les médias généralistes est marqué par quelques anecdotes : Christophe Dechavanne présente des « nazis » fréquentant les boîtes belges dans l’émission « Ciel, mon mardi ! » ; la radio NRJ refuse de diffuser des titres techno en 1990, etc. La une de L’Humanité du mardi 15 juin 1993 forme sans doute le point culminant de cette attaque en règle. Le quotidien consacre quatre pages caricaturales à la techno avec des thèmes qui seront repris par la suite par certains hommes politiques, de droite comme de gauche. Son chapeau en illustre le ton : « La musique techno a ses rites, ses chefs et ses croix gammées ». Les idées développées, paternalistes, hygiénistes et réactionnaires, forment le terreau nécessaire au mouvement anti-techno.
Lire le forum Bassexpression à propos de la diabolisation de la techno.
La diabolisation, 1993-1998
L’ordonnance du 13 octobre 1945 est la pierre angulaire du régime juridique des manifestations — y compris musicales. Elle crée le régime de déclaration des manifestations, les obligations de l’organisateur, la licence d’entrepreneur de spectacle, et la présomption de salariat. Ce cadre est renforcé en 1969 par la convention collective des métiers du spectacle, qui traque la concurrence déloyale des musiciens non professionnels. Il faut enfin rappeler que les incidents de Furiani du 5 mai 1992 ont entraîné un renforcement du côté des règles de sécurité. Cet édifice juridique constitue un cadre extrêmement contraignant pour la pratique amateur de la musique et permet plus facilement d’interdire les initiatives événementielles que de les intégrer.
Pourtant, même si elles ne respectent pas intégralement ce cadre légal, la plupart des raves du début des années 1990 sont déclarées. Malheureusement, certaines d’entre elles ne sont absolument pas maîtrisées par leurs organisateurs et la tension entre technoïdes et forces de l’ordre monte progressivement entre 1992 et 1995. C’est à ce moment-là que certaines habitudes naissent : les flyers sans adresse, les rendez-vous donnés à la dernière minute sur des infolines, et les chassés-croisés ravers/police. Mais c’est l’annulation de la fête Oz prévue à Amiens le 10 juillet 1993, qui signe le début de la diabolisation, la fin de cette première époque rave ainsi que le début d’une prise de conscience politique par les organisateurs. Oz devait être une grosse manifestation co-produite par Laurent Garnier et le magazine Coda. Le motif invoqué par la gendarmerie ressemble à un prétexte : pas de forces de l’ordre disponibles, à cause du passage du Tour de France ! Une manifestation spontanée a lieu sur l’esplanade des Droits de l’Homme au Trocadéro, la première d’une série. Mais c’est surtout à la suite de cette annulation qu’est organisé le premier teknival, une manifestation libre, gratuite… et sans autorisation. On parle du mythique tekos de Champigny.
C’est donc bien la répression à l’encontre des raves de la première génération qui génère l’explosion de fêtes clandestines — teknivals et free parties —, qui constituent la deuxième génération de ces manifestations. À partir de 1993, les free parties exploitent les zones rurales, comme les raves en Angleterre après l’exclusion de la house des clubs londoniens en 1989.
Hiver 1995, les patrons de trois médias annonçant régulièrement les raves (Libération, Radio Nova & Radio FG) sont convoqués quai des Orfèvres dans le cadre d’une commission rogatoire à la suite de l’hospitalisation d’un jeune raver survenu en Ile de France. Le juge veut inculper Serge July, Jean-François Bizot et Henri Maurel de « complicité passive de trafic de stupéfiants » en application du Code de la Santé Publique (le même motif est régulièrement utilisé contre les exploitants d’établissements – bizarrement ce n’est pas le cas du métro et des lycées ). Ces interrogatoires ne sont pas suivis d’effets, mais poussent Radio FG à réagir en déplaçant le débat vers la création artistique : la techno est aussi une culture. La première exposition consacrée à cette culture, Global Tekno en juin 1995 à l’American Center (1), naît donc également en réaction à la répression.
De l’autre côté, la répression s’organise et s’étaye de textes réglementaires. Charles Pasqua puis Jean-Louis Debré, ministres de l’Intérieur successifs, visent clairement une éradication du mouvement. Un rapport de la Direction Générale de la Police Nationale de janvier 1995, diffusé comme circulaire, fournit aux agents de la force publique l’attirail juridique nécessaire à une interdiction et une répression des fêtes techno. Le titre de ce texte est éloquent : « Les soirées raves, des situations à hauts risques ». La répression y est justifiée et certains organisateurs font même de la prison.
Cette lutte contre les fêtes clandestines est soutenue par les discothèques. Au cours de l’hiver 1996, les établissements de nuit lyonnais poussent ainsi les autorités — mairie et préfecture — à annuler une énorme rave, Polaris, le jour où elle devait avoir lieu. La fête devait accueillir près de 15 000 personnes. L’émotion est grande parmi les artistes, les organisateurs, les ravers. Ils se constituent en association et créent Technopol pour dénoncer et combattre un tel arbitraire. Ce n’est pas seulement une réaction de passionnés, c’est aussi la réponse de professionnels. À l’époque, une économie des raves émerge : des fêtes réunissent jusqu’à 10 000 personnes et des médias spécialisés, des labels indépendants, des disquaires voient le jour ; tous interprètent les annulations comme un déni.
Les ennuis se multiplient du côté des organisateurs « légaux ». Certaines manifestations affrontent les préfets et les élus, souvent résolus à les interdire. Ainsi la municipalité d’Avignon prend le 13 mai 1996 un arrêté municipal proscrivant toute fête techno sur la commune, arrêt qui sera annulé en première instance à l’instigation de Technopol (mais validé en appel…). Les interventions musclées de CRS et de gendarmes mobiles sont nombreuses : jusqu’à trois cent vingt « casques » à Bordeaux, certaines charges sont même filmées par des télévisions. La France suit l’exemple de la répression anglaise avec la réglementation « Criminal Justice Act » du gouvernement John Major, qui interdit toute réunion de plus de trois personnes écoutant de la musique répétitive (2) avec le succès que nous connaissons : l’Angleterre a juste dansé toute la décennie !
- Global Tekno a été le nom d’une émission sur Radio FG, d’un livre écrit par Jean-Yves Leloup et Jean-Philippe Renoult, d’une série de 7 expositions et d’un festival à la Grande Halle de la Villette entre 1995 et 2001.
- Les musiciens du groupe Autechre ont répondu au Criminal Justice Act par trois morceaux non répétitifs sur « Anti E.P. », disque qui précise que les DJs doivent s’entourer d’un avocat et d’un musicologue pour pouvoir confirmer que la musique jouée n’est pas répétitive.
L’intégration, 1998-2000
Quelques victoires redonnent pourtant espoir à une partie de la communauté techno. Le tribunal administratif annule notamment la décision de Marie-José Roig (alors maire d’Avignon), sur requête de l’association Technopol formulée courant 1997. C’est ensuite le souhait de Jack Lang de créer une manifestation festive et revendicative à Paris sur le modèle de la Love Parade berlinoise, qui se matérialise avec succès suite aux prises de parole de celui ci, comme cette tribune parue dans Liberation en 1997. Cela n’est pas sans poser problème à Technopol, qui se voit confier le projet de manière unanime par les acteurs principaux, et ce après un rendez vous infructueux avec le chargé d’affaire de la Love Parade GMBH à Londres qui demandait à Eric Morand (président de Technopol) plusieurs centaines de milliers de francs pour le droit au marque. L’association, fondée en 1996 et sans grands moyens, avec des adhérents sans culture d’action collective, doit d’abord convaincre le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement. Grâce à Jack Lang et Catherine Trautmann, une issue favorable est trouvée. C’est dans le contexte du succès de la première Techno Parade de 1998 avec 250 000 personnes dansant autour de 38 tonnes sonorisées et des DJs comme Laurent, Carl Cox, Manu le Malin ou Kojack, que le gouvernement promulgue une circulaire signée par les ministres de l’Intérieur, de la Défense et de la Culture. Cette circulaire reconnaît le caractère culturel de la musique techno et force les forces de l’ordre à revoir leur mode d’intervention.
La porte n’était pas fermée entre raves et free parties, mais le développement des « fuck » (fêtes gratuites organisées en marge de manifestations légales) installe les différentes scènes dans une attitude de défiance. Ainsi les Boréalis, qui ont compté, avec les soirées Planète des Transmusicales de Rennes, parmi les plus belles raves en France, ont été victimes d’une baisse de participants, partis danser gratuitement dans la garrigue à la recherche de la TAZ idéale. Une tornade la veille a définitivement balayé le projet Boréalis. Les gens préfèrent ne pas payer. Est-ce de la simple concurrence ? Est-ce une réponse originale et spontanée au système commercial de la techno ou une vraie démarche politique ? À vous de voir. Lisez avec intérêt les compte rendus de fêtes libres sur le site Bass Expression (ici celui de la Fuck Parade de 1998).
Les raves et fêtes en clubs continuent de célébrer l’hédonisme, la fraternité, le progrès, la joie et autres valeurs « peace and love », même si cela tombe dans un certain conformisme. Les free parties développent une idéologie libertaire travaillée par une musique violente, la défonce et la parano des persécutions policières et s’imposent par une esthétique trash. Les « teufeurs » écoutent de la hard techno, du hardcore ou de la jungle, portent des casquettes et des parkas militaires, s’habillent en treillis « baggy » (large), se tatouent et se percent. Voilà le portrait type du « free parteux », appelé aussi « petit pois ». Les free sont loin des origines noires de la house. Les raves se sont organisées autour de groupes constitués, souvent une équipe organisée en structure. Les free évoluent en « sons » ou « sound systems ». Le « son » est une communauté égalitaire, le technicien est aussi important que le DJ. Il se réfère aux thèses utopistes d’Hakim Bey et au principe de la zone d’autonomie temporaire, soit « taz », l’abréviation anglaise de zone d’autonomie temporaire pensée par Hakim Bey, qui est aussi une appellation de l’ecstasy en français.
On aurait pu croire que les choses s’étaient calmées, mais la politique la plus politicienne refit surface sur la scène techno pendant l’été 2001. La fête est un objet politique et le député Thierry Mariani l’a bien montré.
De la re diabolisation au sarkoval, 2001-2005
Le caractère politique des free parties eut son paroxysme médiatique par l’amendement du député Thierry Mariani à l’été 2001. Celui-ci, en assortissant l’obligation de déclaration des fêtes d’une possibilité de saisie immédiate du matériel de sonorisation, offre un outil répressif absolument imparable aux forces de police. Quelle mouche a piqué le député RPR du Vaucluse ? Le sud de la France connaît des débordements spontanés, des fêtes non autorisées. Il y a parfois des dérapages que la presse locale rapporte allégrement, tel ce « teufeur » sous acid qui tue son voisin au retour d’une virée nocturne (Var Matin, 2002). Mariani exprime un ras-le-bol des maires de zones rurales, le discours a eu un effet boule de neige. La droite, au nom de la lutte contre l’insécurité, pousse le gouvernement de Lionel Jospin, très mal à l’aise, à sévir contre les free. Et comme le mouvement techno est poussé à encore plus de clandestinité, les incidents se multiplient. Ainsi, huit morts sont à compter entre 1998 et 2002 (source : ministère de l’Intérieur).
Le 14 juillet 2001 le président de la République, Jacques Chirac, s’invite dans le débat et déclare :
Les rave-party, qu’est-ce que c’est ? C’est un élément de la culture techno. Elle existe et elle a son charme. Les rave-parties en soi ne posent pas vraiment problème. Ce qui pose problème, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui les free-parties, c’est-à-dire les rassemblements de plusieurs centaines voire de plusieurs milliers de gens.
Précision : au cabinet du Président une certaine Valérie Pécresse s’évertuait à donner un peu de « jeunesse » au futur candidat.
Le ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant affirmait vouloir rencontrer des représentants du mouvement techno, mais ne leur avait pas finalement daigné leur parler directement. La réunion avec le ministre eut lieu en septembre 2001, après la saison estivale, et donc trop tard. Et quand elle a lieu, ce sont les organisateurs de la scène free qui l’ajourner à cause des organisateurs « officiels » présents. Le clash entre « illégaux » et « officiels » est accompli. Cette réunion est la première d’une longue série de rendez-vous manqués. Porté par ses représentants les plus durs mais aussi par quelques agitateurs, comme Thierry Meyssan du Réseau Voltaire, ce refus de s’asseoir à la table dure près d’un an.
Le Parti Socialiste perd ainsi progressivement les fruits de la reconnaissance acquise avec la première Techno Parade. Le 3 mai 2002, entre les deux tours, Lionel Jospin creuse un peu plus le fossé en signant le décret d’application de l’article 53 de la Loi Sécurité Quotidienne, inspiré de l’amendement Mariani, qui crée une nouvelle catégorie de fête. Les fêtes produites par des personnes physiques ne disposant pas de licence de spectacle réalisées sur des lieux publics en présence de plus de 250 personnes (contre 1500 auparavant) sont désormais soumises à autorisation du préfet. L’objectif du texte est le strict encadrement des free parties. Il est même inscrit en annexe que les signataires de la « charte de bonne conduite » peuvent déclarer leur manifestation quinze jours après la date butoir de ceux qui ne l’ont pas signée. Comment Lionel Jospin a-t-il pu signer un tel texte entre les deux tours des élections présidentielles ? Le Pen était là et ça devait rassurer l’électeur… Le texte a par la suite été attaqué par Technopol auprès du Conseil d’État, en vain.
Par dessus le marché, la déception est à son comble avec le FN présent au second tour des élections présidentielles de 2002. Le 1er mai 2002, dans un mouvement unitaire et baroque, plusieurs artistes, labels et Technopol réalisent un char pour exprimer le malaise des artistes et acteurs électroniques. Ready Made a joué du classique en ouverture, puis ce fut au tour de Patrick Vidal, Manu le Malin…
Mai 2003, 80 000 personnes éparpillées sur un ancien aérodrome de l’OTAN, dans le département de la Marne, constituent une zone d’autonomie temporaire. Celle-ci a pourtant des airs de kermesse. On se croirait presque aux Puces de Saint-Ouen, avec marchands de pipes rasta et baraques de frites. La théorie de la fête libre génère parfois des Disney land pour « punks avec chien » (autre expression pour dénommer les « teufeurs »). Mais celle-ci est la première d’un genre nouveau puisque ce teknival est autorisé mais surtout encadré par les services du ministère de l’Intérieur : le sarkoval.
Nicolas Sarkozy a changé de stratégie. Il a pris en compte l’expérience du teknival du col de Larche, au 15 août 2002. Cette manifestation a démontré que les collectifs techno peuvent partir à quelques mètres de la frontière, danser en Italie et jeter leurs poubelles en France. Le teknival légal ou « sarkoval » procède de l’intention louable d’offrir un cadre sécurisé au teknival et de celle de faire de la publicité auprès des jeunes. Nicolas Sarkozy crée ainsi une zone d’autonomie temporaire du droit français par le « fait du prince ». Cette logique de « réduction des risques » — argument avancé par Emmanuelle Mignon, conseillère technique de l’ex-ministre de l’Intérieur — réussit en deux ans à limiter le nombre de blessés et de morts, mais aussi le nombre de manifestations techno, qui passent de 582 en 2002 à 375 en 2003 (source : ministère de l’Intérieur).
Depuis 2001, la scène free s’est constituée en collectifs régionaux, eux-mêmes réunis en un collectif national qui dispose de quelques représentants, dont Lionel Pourtaud, sociologue doctorant au Centre d’Etudes sur l’Actuel et le Quotidien de Michel Maffesoli. Il en est le porte-parole efficace. Le collectif des sound systèmes est pourtant avant tout un collectif informel de collectifs informels, selon la logique même de la « free party », qu’il faut traduire comme « fête libre » et non comme « fête gratuite ». Il a accepté de dialoguer, non sans mal, avec la place Beauvau, parce que la main a été tendue — les transports des représentants sont remboursés par le cabinet Sarkozy alors que ce n’était pas le cas avec celui de Daniel Vaillant. Le premier sarkoval de mai 2003 crée un précédent dans le rapport entre fête et institutions parce que le politique supplée à la désorganisation d’une communauté culturelle au nom de la sécurité, ce qui pousse les organisations techno qui respectent la loi dans une profonde dépression. Les acteurs de la free party connaissent eux-mêmes une scission, comme la techno quelques années plutôt, entre les partisans d’une indépendance totale et ceux qui collaborent avec les pouvoirs publics. Les teknivals autorisés offrent des conditions idéales : on ne paye pas le terrain, ni aucune taxe et aucun salaire, la sécurité est assurée par les gendarmes, les WC et les points d’eau sont offerts par les services techniques préfectoraux. Ce système dérogatoire, validé par le Conseil d’État, qui déboute en mai 2004 l’association Technopol de la demande d’annulation du décret d’application créant le régime juridique des free parties, vivra le temps de la volonté politique nécessaire mais crée des inégalités énormes et place la « free » dans le champ de l’action sociale plutôt que culturelle (3).
Le temps de la musique engagée politiquement est révolu. Pour certains pionniers de la techno, la fête dite libre est morte. Ils rejettent désormais la « free » pour créer leur zone d’autonomie temporaire sans l’appui de l’État. De plus, la musique électronique ne saurait se résumer à la free, d’autres tendances musicales électroniques existent et proposent des fêtes d’autres manières. La trance, versant le plus psychédélique, voyage toute l’année autour de la planète et crée des Woodstock techno. La house, la jungle, le break beat, le hardcore et l’electronica vivent de leurs petites et grandes manifestations et participent activement à une variété musicale que le teknival ne connaît pas. Peut-être le temps de la raison est-il bientôt arrivé pour la techno ? Peut-être est-il temps de passer à autre chose ?
3. Lire sur cette question les textes d’Étienne Racine, ethno-sociologue et auteur du Phénomène Techno (éditions Imago), qui publie régulièrement des points de vue dans Le Monde et Libération.Cet article a été commandé par la revue Vacarme par Éric Labbé et Philippe Mangeot, lien ici, dans le cadre d’un dossier » La fête comme objet politique « .
L’avènement d’un écosystème 2005 – 2019 ?
La décennie a été faste en terme de créativité et de nouveaux acteurs, tels que Weather Festival & Concrete à Paris; le festival Electrobeach produit par l’Office de Tourisme de Bacarès avec plus de 100 000 participants chaque année, les Nuits Sonores à Lyon (véritable Sonar à la française). La Sacem a réalisé sa première enquête économique sur la scène électronique, dévoilée lors du Mama Festival en 2016 (à télécharger ici) et qui renforce la pertinence des travaux réalisés depuis les années 90 par les acteurs et qui imposent également aux institutions de prendre acte et d’arrêter de freiner le développement de l’éco système, qu’il soit commercial ou plus alternatif.
Musicalement, il n’y a pas eu de révolution, les stars de la French Touch se voient concurrencés par de nouvelles générations. David Guetta trône dans les charts internationaux…
L’année 2015 voit la prise en compte d’un secteur spécifique du spectacle vivant électronique comme l’atteste l’amendement du député Razzy Hammadi à la Loi de Finance autorisant un taux de TVA réduit sur toute billetterie. Les clubs et événements électro étaient exclus du fait qu’il y avait consommation pendant le spectacle. Détail ici. Conséquence logique : la SPRE fait grave la gueule et attaque les exploitants qui optent pour ce régime digne du spectacle vivant…
La Free Party
Quant à la situation des free parties, pas de changement notable malgré de nombreux événements comme le démontre Freeform à l’occasion de la négociation du teknival du 15 août 2016.
Le ministère de la Jeunesse et des Sports a engagé une mission inter ministérielle sur le sujet des rassemblements festifs et a même mis en ligne un guide.
2017, le dialogue entre collectifs et Etat n’est toujours pas au beau fixe, surtout avec un gouvernement qui fait de la sécurité et de la propriété des priorités. Cependant, comme en 2002, des médiateurs sont nommés. La politique requiert des déclarations d’intention, aucune évaluation législative ou réglementaire n’étant réalisée (sauf par des organismes consultatifs ou de vaines commissions parlementaires qui prêchent dans le désert, comme les avis de la Cour des Comptes…), cette décision de l’Intérieur est une bonne nouvelle. Lire cet article qui fait le point sur la situation.
Les warehouses, le mariage de la mafia et d’Hakim Bey ?
Les collectifs font la « ravolution » tant attendue, une symbiose entre business women vraies Cruella et fausses samaritaines, oisillons perchés et mafia nouvelle génération. Ces collectifs sont des groupements constitués en association. Certains se structurent, mais tous défendent des valeurs. Une vidéo réalisée par Utopie Tangible et relayée par Resident Advisor décrit bien le phénomène.
Cette évolution en collectifs est une nécessité pour les artistes face à la concurrence, une nécessité pour les lieux en manque de créativité et eux aussi en pleine concurrence et un moyen plus ou moins viable d’organiser des événements plus ou moins respectueux des règles sociales, ERP, fiscales, etc. C’est dans cet esprit de structuration d’une alternative parisienne que le journaliste, DJ et organisateur (Micro Climat) Antoine Calvino (lire son article pour le Diplo) a suscité la création du groupement syndical Socle.
La tendance la plus forte est l’éphémère. Il n’y a plus assez de publics et pas d’envie pour fréquenter un lieu en particulier. Allez savoir si cette tendance va de pair avec la difficulté de concentration (le temps de cerveau…) et une économie en berne, mais les pop up, les lieux éphémères, les festivals (qui n’en ont que le nom le plus souvent) dominent l’actualité festive et électronique.
Cet article de 20MN fait un beau panorama de la pertinence de la Techno Parade à l’aube de la 20e édition de la Techno Parade. La journaliste fait un excellent panorama de la situation, 20 ans après la création de la Techno Parade…
Aujourd’hui, on se croirait revenu aux dires de quelques collectifs (non membres de Socle) à l’époque de Pasqua, une tribune publiée par Trax ose titrer « Les forces de l’ordre nous poussent à courir des risques pour simplement danser sur de la techno ». C’est reparti pour un tour ? Apparemment la BRP (Brigade de Répression du Proxénétisme, qui gère les établissements et événements au delà de 2h du matin) est bien intentionnée, même un peu trop quand on connaît l’affaire de Stains. Le maire de Stains s’est entendu dire que tout allait par le commissariat et que le lieu était aux normes. Depuis juillet 2020, Stains est devenu un spot de fêtes illégales autorisées.
🎵 Depuis plusieurs semaines, des rave party se multiplient à Stains, en Seine Saint-Denis. Certaines habitantes saturent et ont contacté RMC pour tenter de régler ce problème. La police assure que ces fêtes sont autorisées et donc n’intervient pas. #ApollineMatin pic.twitter.com/GfLgGVw9c4
— Apolline Matin (@ApollineMatin) September 20, 2021
Oui c’est totalement reparti pour un tour entre autorités et collectifs. Les organisateurs tels que Possession ou Fée Croquer réussissent à attirer jusqu’à 6000 participants à en croire l’étude Shotgun (service de billetterie préféré des collectifs) et Possession accueille Boiler Room pour sa tournée mondiale.
Il faut absolument lire l’enquête de David Wouters de Cadence Culture. Le journaliste a suivi le collectif MYST et illustre les propos des acteurs par les photos de Luc Bertrand. On se croirait sur la piste du Boccacio en 1990. Tout est là et pourtant la jeunesse francilienne vit de grands moments qui font déjà date.
Depuis le début de la pandémie, plusieurs orgas se sont révélé peu regardants sur la gestion sanitaire. Heureusement la plupart des événements est en plein air ou dans des cloaques urbains bien aérés.
La suite est en gestation. Si vous avez des idées, commentez la page ou écrivez moi.