L’histoire française tient un Stonewall aristocratique et anachronique en la personne d’une princesse savoyarde accusée d’intelligence avec l’ennemi et de proximité avec « l’Autrichienne ».
La princesse de Lamballe est née Marie-Thérèse Louise de Savoie-Carignan (Maria Teresa Luisa di Savoia), princesse de la Maison de Savoie, née à Turin le 8 septembre 1749 et morte dans le Marais le 3 septembre 1792. Mariée très jeune, elle est veuve du prince de Lamballe à 19 ans. Ce très riche et très débauché parent de la famille royale, mourut de maladies vénériennes, la contamina et elle en fut défigurée à vie. Franc-maçonne, membre de la loge féminine « la Candeur » (12 février 1777), elle s’intéresse aux Lumières, à la condition des femmes et l’amitié féminine. Elle organise notamment un dîner suivi d’un bal auquel ne sont conviées que des femmes au grand dam de la Cour et de la Reine. Le 10 janvier 1781, elle est élue grande maîtresse de la « Mère Loge Écossaise ». Surintendante de la Maison de la Reine, une Reine qui, dépourvue de culture politique, a vraiment diffusé des secrets d’État à son frère d’empereur Joseph II comme l’attestent les archives de la maison impériale (cf. Simone Bertière, « les Reines qui ont fait la France »), Marie Thérèse a souffert de sa proximité avec Marie Antoinette, qui fit son possible pour la faire quitter le pays. En 1791, elle revient d’Allemagne pour assumer son rôle de surintendante et peut être veiller à la saisie de ses biens.
« Un de ces monstres lui coupa la partie virginale et s’en fit des moustaches », les circonstances de sa mise à mort
Le vit soi disant élu de Marie Antoinette fut mis au bout d’une pique au « peak time » de la Révolution en 1792. Dans « Paris pendant la Révolution (1789-1798) ou le Nouveau Paris », Louis-Sébastien Mercier décrit ce détail horrible du supplice post-mortem de la princesse de Lamballe. La foule révolutionnaire envahit la prison de La Force, sise au 2 rue du Roi de Sicile. Sa tête a été promenée au bout d’une pique jusqu’à la tour du Temple, son corps fut transporté sur des kilomètres, profané, jusqu’au comité civil de la section des Quinze-Vingts. Enfin, la tête fut portée à son tour par un garçon boucher nommé Allaigre au comité, à sept heures du soir, après avoir été repoudrée, afin d’être « inhumée auprès du corps » dans une tombe du cimetière des Enfants-Trouvés.
Le Dictionnaire historique des rues de Paris de Jacques Hillairet donne une version sensiblement différente :
« Un perruquier du nom de Charlat, tambour des volontaires, lui ôta son bonnet du bout de sa pique et la blessa légèrement, tandis qu’un autre égorgeur lui jetait une bûche dans les reins. La princesse tomba et fut criblée de coups. On lui ôta ses vêtements ; elle resta ainsi près de deux heures exposée, nue, à la risée lubrique de la foule. On la traîna ensuite jusqu’à la borne située à l’angle des rues du Roi-de-Sicile et des Ballets, sur laquelle on appuya sa tête qu’un nommé Grison scia avec son couteau et mit au bout de sa pique. Le perruquier Charlat lui ouvrit la poitrine, lui arracha le coeur qu’il plaça au bout de son sabre, tandis que suivirent d’autres mutilations obscènes et sanguinaires ».
Le mythe Lamballe
La princesse est répertoriée comme « gay icon » par Wikipedia au motif de sa relation supposée avec la reine. L’autrice anglaise Radclyffe Hall, qui connaît en 1928 avec Le Puit de Solitude, un des premiers succès de littérature lesbienne anglo saxonne (1M aux USA), fait visiter son héroïne, Stephen Gordon, le Temple de l’Amour à Versailles. Son ami et guide fait allusion alors à la rumeur de relation de Marie-Antoinette avec la princesse de Lamballe. Cet article de Wikipedia cite Jean Genet, qui insinue que le poète de ND des Fleurs aurait été fasciné par le destin de 4 femmes, Jeanne d’Arc, Marie Curie, la Vierge Marie et Marie Antoinette…
Le motif anti aristocratique, nourri par les pamphlets haineux du règne de Louis XVI, et la haine misogyne de la presse révolutionnaire, a fortement incité quelques hordes de sadiques à faire du corps de la princesse un défouloir lesbophobe. La relation platonique ou charnelle supposée entre les deux femmes n’est attestée par aucune source historique. Nous pouvons nous contenter du meurtre comme motif et considérer la princesse de Lamballe comme héroïne de l’émancipation féminine et victime car supposée lesbienne.
Le 3 septembre 1996, une cérémonie rapportée par le 3Keller, le mensuel du Centre Gai et Lesbien (alors au 3 rue Keller à Bastille), a eu lieu au 2 rue du Roi de Sicile sur proposition de l’écrivain et éditorialiste Laurent Dispot. Co fondateur du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) avec Pierre Hahn, Guy Hocquenghem et Françoise d’Eaubonne, Laurent Dispot voyait dans la princesse de Lamballe un « Stonewall » à la française. C’est un sujet qui resterait à développer par une historienne bien inspirée.
CVG
Tableau de couverture : La mort de la princesse de Lamballe, Leon-Maxime-Faivre, 1908, Musée Lambinet, Versailles, Musée de la Révolution française, Vizille.
Pour aller plus loin :
Sur les faits du 3 septembre 1792
Le patrimoine du Marais avec l’Indépendant du Coeur de Paris